lundi 17 septembre 2012

PAULINE MET UN PIED DEVANT L'AUTRE (ET SI DIEU ... TOME II - VERSET IX).









En ce temps-là, courant 1976, Pauline eut 26 ans et son demi-frère Baptiste vit le jour sans qu'elle n'en soit avertie. Elle vivait un moment difficile, incertaine du bon choix d'avoir fait médecine. Un hasard affectif favorable lui fit rencontrer Mehdi. Le Professeur Destin l'accueillit en son sein, lui mit les pieds à l'étrier de la biologie. Sauvée.

Elle comprenait le drame provoqué, dans la vie de Sylviane et Yannick, par la brutale apparition de Baptiste. Eva le savait-elle ? Probablement, car ces deux mères exercèrent le métier de sage-femme à Cotentin-ville. La vengeance anti-Sylviane battrait son plein de jalousie haineuse hystérique. Baptiste en souffrirait ? Qu'importe ! Eva n'en était pas à son coup d'essai. Elle s'ennuyait à mourir au fin fond de sa campagne luxueuse, avec un mari qu'elle n'aimait pas, la descendance du mari qui l'indifférait mis à part des petits-enfants-histoire de rejouer à la poupée, de l'argent à gogo, et une absence totale de besoin d'aimer les autres. Quelle aubaine de retrouver un nouvel os à ronger pour passer le temps.

Contrairement à Pauline, son aînée Aline connaissait Baptiste. Le voyait-elle à Paris, ville où il mourut en 2008 ?


-  Dis, Dabi ...


Une âme charitable, connaissant très bien Yannick, s'était installée à Dermate vers l'an 2000. Devenue par hasard patiente du laboratoire de Pauline, elle avait construit des liens de pseudo-amitié avec Reine Naïve Ière, ahurie par une telle coïncidence. Bisexuelle déclarée, elle s'intéressa à Pauline, qui la remit fermement à sa place, lui offrant sa botte imparable en de telles circonstances déjà vécues : "Sache que je ne cherche pas la femme de ma vie; la femme de ma vie je l'ai trouvée : C'est moi." L'autre lui asséna un cruel : "Comment va ton demi-frère ?"...

Dépit amoureux, amour-propre blessé, terrible vengeance ?

Sonnée fut Pauline, qui n'apprit l'existence de Baptiste qu'en 2002, alors qu'elle avait 52 ans et lui 26 printemps.

Le décès tragique de son demi-frère mettait un point final à tout espoir de rencontre. Elle ne le savait pas si mal en point, et gardait au fond de son coeur le désir inavoué d'un échange avec lui. Terminé. Soulagement acide et feutré, regrets à vite avaler, sensation d'avoir échappé au pire, tranquillité préservée à moindre coût de souffrances. L'avenir ne le confirmerait pas, car ce trépas provoqua un cancer fulgurant d'inconscient mea culpa chez Sylviane, et une accélération vertigineuse de l'Alzheimer de Yannick. Bilan : Trois morts en quatre ans.


- Dis, Dabi ...


Pauline faisait une partie de golf avec deux jeunes hommes de la génération de son frère. L'un était marié et père de famille.

-  Quelle est la profession de votre épouse, demanda-t-elle ?

-  Mère au foyer.

-  Combien avez-vous de ninos ?

-  Deux.

-  Et pourquoi n'a-t-elle pas de métier ?

-  Avec mon salaire, elle n'en a pas besoin.

-  Vous prenez des risques pour vous-même, votre épouse et vos enfants, conclut Pauline médusée.

Dans le domaine égalitaire, les couples homosexuels montraient le chemin de l'avenir, chaque élément du duo ayant la même valeur sociétale. Cela ne plaisait pas aux ultra-religieux, vissés sur leur obsessionnel idéal bancal familial traditionnel : Le patriarche s'épanouit dehors et fonde une famille car il en a les moyens financiers; l'épouse reste au foyer sinon les enfants n'auront pas un bon élevage (comme les veaux). Engluée dans des tâches ménagères peu libératrices, la femme est toute à sa famille et à l'attente du mari parti; tourné vers l'extérieur, le mâle peut construire son harem. Avoir une épouse à la casa et au moins une maîtresse, constitue le nec plus ultra de la réussite sociale masculine, sans compter la belle voiture, qui remplace l'âne et le boeuf. Ce schéma archaïque, que Pauline croyait révolu en France, restait d'actualité même dans l'esprit d'un homme qui avait l'âge d'être son fils. La jeune épouse avait-elle reçu l'éducation suffisante pour espérer autre chose de la vie qu'être une utilité utérine ?


-  Dis, Méné ...


-  Tu as raison de faire diversion, répondit la lumière réfléchie. A force de ressasser des évidences, tu risques de perdre le fil de ton évolution.

-  Crois-tu en l'existence de Dabi, lui demanda courageusement Pauline ?

-  S'il n'y avait pas la souffrance et la mort des vivants, je ne me poserais pas une telle question, affirma-t-elle.

-  Moi non plus, s'énerva Pauline. Le problème est que je suis une vivante pensante. Au bout de quelques années d'un tel état, j'ai déjà pas mal vécu et pensé. Et nous y voilà quant à la difficulté. Si je vis sans penser, point n'ai besoin de philosopher sur Dabi, et si je pense sans vivre ...

-  Ah te voilà bien attrapée par l'absurde du paradoxal, émit Râ, très divinité égyptienne arabe unie !

-  Je reprends mon raisonnement, insista Pauline. Je suis vivante donc je souffre, ne serait-ce que d'anticiper la future perte de ma vie.

-  Cela reste à prouver, titilla Méné.

-  En effet, poursuivit Râ. Souffrir de ne plus vivre nécessite un certain degré de complexité dans l'évolution. Je doute qu'une bactérie ne s'inquiète de sa disparition.

-  La souffrance et son absence, voire le bien-être, seraient dus à la synthèse ou non de certaines molécules neuromédiatrices, en conclut Pauline intéressée.

Elle savait que certains humains naissent sans le signal d'alarme de la douleur, et peuvent en mourir. Cependant, douleur et souffrance ne se situaient pas au même niveau. Avoir mal provoquait une souffrance, mais on pouvait souffrir sans avoir mal. A douleur physique basique, souffrance plus complexe.

-  N'est-ce pas la grande différence entre toi et nous, questionnèrent Méné et Râ ?

-  Alors si vous ne souffrez pas, vous ne pouvez pas filer le parfait amour, logiqua Pauline implacable. Bonheur et souffrance sont intimement liés.

-  Zut, silença Méné. La bougresse progresse vite. 
Dis, Dabi ...


L'auteure faisait le point avec méthode. Tout d'abord matière, puis vie, douleur et souffrance.
En partant du principe que Dabi était créateur de toute chose, il fallait bien accepter qu'Il générait sa propre remise en cause, voire sa disparition, son effacement, son anéantissement.
Teilhard de Chardin avait-il pensé à cela ? C'est bien gentil la parousie (Cf Google), mais bon. La création portait en elle la négation de son propre sens, si l'on mettait le sens au début du créé. La faute originelle reviendrait à placer Dabi à l'origine, au commencement, au lieu de le faire advenir, lui donner le temps de devenir. L'intérêt du Big Bang ne serait pas le passage entre le néant et l'être mais le devenir de l'être.

-  Je ne vois pas la différence entre l'apparition de l'être et son devenir, se permit l'absence dabienne.

L'auteure concentrait le fil de ses idées pour ne pas en perdre une "miette".

-  Et si je tire sur la "ficelle", toute le "banette" cherrera, pouffa Méné !

-  Croyez-vous que les bactéries ressentent la joie de vivre, quémanda Pauline à la cantonade ?

-  Bonne question, répondirent les autres.

-  Alors nous pouvons en conclure, par l'intercession de la logique scientifique raisonnable, que le bonheur et la souffrance sont des états avancés de la matière vivante, affirma Pauline, grandiloquente et cléricale.

Dabi ne pipait mot, inaudible, invisible, improbable, hypothétique.

-  Hum, murmurèrent les luminaires un peu dépassés.

-  Ô Râ, Ô Méné, vivez-vous, implora Pauline ?

-  Nous sommes visibles, palpables et influents, intervint Méné. Ce n'est déjà pas mal. Sans Râ, nulle vie et sans moi, ma foi, le clocher reste un I sans son point.

-  Alfred de Musset, poétisa Pauline. Tout de même, les ras-de-marée, accusa-t-elle.

-  Tu nous rends responsables des tremblements de ta terre, questionna Râ ?

-  Bah ! Ce ne sont que crises de croissance un peu tumultueuses, faiblit la terrienne.

-  En tout cas, à Agadir dans les années 60, cela fit bien des âmes nouvelles pour augmenter la consistance humaine du souffle créateur en formation, gémit Râ.

Les oreilles de l'absent sifflèrent en silence.

-  Je me demande si la matière simple, non compliquée, ne fait pas obstacle à l'appréhension de son absence, métaphysiqua Pauline.

-  Redis-nous cela, demanda Méné concentrée.

-  La question est de savoir où placer le matériau par rapport à l'intention de construire avec le matériau. Avant, après, en même temps ?

-  "Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement ..." commença Râ.

- " ... Et les mots pour le dire arrivent aisément", termina Méné, incapable de différencier Boileau, Montesquieu, Voltaire et Diderot.